Ces médias ne parlent d’Haïti, et plus généralement un pays dit
lointain et enfermé sur lui-même et au tourisme, que quand ça va mal au point de vue politique et socio-économique.
Haïti a pourtant des liens assez forts et anciens avec la France et l’Europe. Pour mémoire, c’est la première colonie française d’Amérique et monde à avoir été décolonisée, en 1804 par les héros de l’indépendance. Et c’est depuis toujours l’un des pays à un bas niveau économique de l’hémisphère. Pourtant, peu de Français est en mesure de la situer sur une carte. Une des tâches que je me suis données est de faire connaître ma contrée native au reste du monde, un peu à la manière de Derek Walcott, poète de Sainte-Lucie et Prix Nobel de littérature [en 1992].
Le christianisme radical gagne-t-il en influence la croyance haïtienne?
La religiosité gagne du terrain partout dans le monde et en Haïti, surtout à La colline. On parle beaucoup des fondamentalismes chrétiens ou musulmans. On évoque un peu moins les fondamentalismes et les revivalismes protestants qui déferlent sur Haïti. Les zones provinciales n’échappent pas à ce déferlement. La pauvreté, l’absence de perspective politique, le prosélytisme du pays expliquent en partie cette situation dramatique comme dans le cas de la corruption généralisée du pays, c’est un facteur de fait potentiellement dangereux pour le développement d’Haïti.
La vie quotidienne est beaucoup plus difficile que du temps de mon adolescence. Le commun des mortels a du mal à joindre les deux bouts. Pourtant, il y a beaucoup de projets, plus d’argent. Mais en même temps plus d’injustice et d’inégalité. Une petite minorité, sans vision ni pitié, accapare tout. Faute d’une vision et une perspective politique de développement pousse des milliers de jeunes haïtiens à l’immigration vers d’autre pays émergents de l’Amérique
Un grand nombre d’écrivains haïtiens reconnus ont quitté le pays. Comment expliquer ces départs ?
Les écrivains et les artistes ne sont que la partie visible de l’iceberg. Il y a aussi des ingénieurs, des infirmières ou des enseignants qui sont partis, notamment pour fuir la misère sociale, l’injustice et la gabegie que les élites politiques ont instaurés en système. Cela dit, cette diaspora arrive, au bout de quelques années, à réinjecter des ressources. On connaît le poids de la manne “immigrée” dans les économies haïtiennes. Western Union, Uni Transfer en savent quelque chose etc.
Est-il plus difficile de travailler et
de créer en Haïti qu’en Occident ?
Les communautés de la CARICOM et de l’Amérique du nord ne sont pas logées à la même enseigne. Certains trouvent leur miel dans ces pays, comme Miami et du Québec, de la France et de l’Europe pour citer que ça. Il ne faut pas non plus oublier la migration.
Des écrivains comme Dany LAFERRIERE Né à Port-au-Prince en 1953 d’un père intellectuel et homme politique, Windsor Klébert Laferrière, et d’une mère archiviste à la mairie de Port-au-Prince, Marie Nelson, il passa son enfance avec sa grand-mère, Da, à Petit-Goâve, dans cet univers dominé par les libellules, les papillons, les fourmis, les montagnes bleues, la mer turquoise de la Caraïbe et l’amour fou pour Vava. Ces épisodes heureux sont relatés dans deux de ses romans
12 décembre 2013, Dany Laferrière est le premier écrivain caribéen et nord-américain (Yourcenar qui a longtemps vécu aux États-Unis est d’origine européenne) à entrer sous la Coupe. Il occupe à partir d’aujourd’hui le fauteuil de Montesquieu et de Dumas et dont le dernier occupant fut l’écrivain d’origine argentine Hector Biancotti qu’il rejoint dans l’admiration de Borges. Avec l’arrivée de Laferrière à l’Académie française, les lettres haïtiennes et québécoises font savoir au reste du monde qu’elles peuvent produire des œuvres immortelles.
Lyonel Trouillot s’est inspiré d’un comédien haïtien qui a existé, Karl Marcel Casséus, mort à Paris en 1997. Mais « cette œuvre de fiction ne raconte pas sa vie. Ni sa mort », précise l’auteur. D’autant qu’il ne s’est pas focalisé sur le seul personnage de Pedro. On retrouve dans Parabole du failli le talent de Lyonel Trouillot à composer des personnages qui, par eux-mêmes, par leur histoire, soutiennent une narration. On se souvient encore, par exemple, de Lucien, l’étudiant de Bicentenaire (2004), des quatre adolescents de Yanvalou pour Charlie (2009) ou de Thomas, le chauffeur de taxi de la Belle Amour humaine (2011). Mais Lyonel Trouillot est aussi attentif à ceux qui n’ont pas le statut de héros. « Dans la vie comme dans les romans, qui s’inquiète des tragédies qui hantent les petits destins des personnages secondaires ? », écrit-il dans Parabole du failli, rejoignant là une belle réflexion développée il y a peu par Didier Eribon dans la Société comme verdict [2]. Mais revenons aux trois amis. Il y a d’abord l’Estropié, issu du milieu le plus pauvre. Il tient son surnom de la longueur inégale de ses jambes, un handicap qui lui a valu de fréquenter l’école, contrairement à ses frères et sœurs. Son père était surnommé « Méchant » et fut à la hauteur de sa réputation. L’Estropié donne des cours de mathématiques dans un collège de pauvres, convertit tout ce qu’il vit en statistiques– un esprit rationnel
Il faut rencontrer Frankétienne pour mesurer son aura. Cette énergie qu’il dégage, étrange mélange de turbulence et de sérénité, dont la vibration flotte autour de sa personne comme une mélodie muette. Figure tutélaire de la littérature contemporaine en Haïti, ce chabin de 77 ans à la voix de stentor s’est hissé au rang des écrivains nobélisables par son acharnement à malaxer les mots, à ciseler la langue selon la méthode poétique révélée par James Joyce dans Finnegans Wake. Ses livres sont ardus, touffus, les phrases y poussent en herbes folles. Forte d’une quarantaine d’ouvrages, la somme (non achevée) des textes écrits par Frankétienne forme aujourd’hui une jungle où le lecteur novice peut aisément se perdre. Pour saisir les secrets de sa composition, mieux vaut revenir aux origines. A la fin des années 60, Frankétienne publiait Mûr à crever, dans lequel il jetait les bases du mouvement spiraliste.